Expérience de Desaguliers


1. Durée de passage dans la zone de champ variable

Après avoir réglé de débit du robinet pour que le diamètre du filet d’eau dans la zone utile soit  d3mmd≈3 \:\mathrm{mm} ,  on peut mesurer la quantité d’eau écoulée en 30secondes30 \:\mathrm{secondes} : le débit est  D7mL.s1D≈7 \:\mathrm{mL.s^{-1}}  donc la vitesse est  v1m.s1v≈1 \:\mathrm{m.s^{-1}} .

En supposant que la longueur d’entrée dans la zone utile est  L2cmL≈2 \:\mathrm{cm} ,  la durée d’action est  T10,02sT_1≈\text{0,02} \:\mathrm{s} .

2. Durée de polarisation par orientation des molécules d’eau

Pour orienter une molécule d’eau, il suffit de déplacer les deux protons : les électrons sont négligeables est les protons tournent autour du centre d’inertie, quasi confondu avec le centre de l’atome d’oxygène. Le moment d’inertie correspondant est donc  J2mHdOH23.1047kg.m2J≈2 \,m_{\mathrm{H}} \: d_{\mathrm{OH}}^{\:2}≈3.{10}^{-47} \: \mathrm{kg.m^2} .

Le moment algébrique des forces électrostatiques est  M=pEsin(θ)M=p \:E \; \sin(θ)  avec  p6.1030C.mp≈6.{10}^{-30} \: \mathrm{C.m}  (moment dipolaire) et un champ électrique  E10000V.m1E≈10000 \:\mathrm{V.m^{-1}}  (par frottement on accumule aisément 1010≈{10}^{10} charges élémentaires, donc 1nC≈1 \:\mathrm{nC} ,  qu'on peut approcher à moins de 1cm≈1\:\mathrm{cm} ).

L’équation décrivant la rotation est donc de la forme  θ̈+ω2sin(θ)=0\ddot{θ}+ω^2 \; \sin(θ)=0 ,  avec  ω=pEJ5.109rad.s1\displaystyle ω=\sqrt{\frac{p \:E}{J}}≈5.{10}^9 \: \mathrm{rad.s^{-1}} ,  ce qui correspond à une durée de retournement  T2πω10ps\displaystyle T_2≈\frac{π}{ω}≈10 \:\mathrm{ps}  (ou un peu moins si le champ EE est plus grand).

Puisque  T2T1T_2≪T_1 ,  l’eau a donc très largement le temps de se polariser par orientation, puis elle est attirée dans la région de champ plus fort.

3. Durée de polarisation par déplacement d’ions

On suppose assez probable que la durée nécessaire pour mettre les charges en mouvement soit nettement inférieure à la durée nécessaire pour accumuler en surface une quantité de charge suffisante.

Pour polariser par déplacement d’ions, il faut accumuler des charges surfaciques  σ=qS\displaystyle σ=\frac{q}{S}  telles que  E=σ2ε0\displaystyle E=\frac{σ}{2 \,ε_0}  (modèle du plan uniformément chargé).

Le courant est :  I=jS=γESI=j \:S=γ \:E \:S   avec  γKe(λH++λOH)6.106S.m1γ≈\sqrt{K_e} \; (λ_{\mathrm{H}^+}+λ_{\mathrm{OH}^-})≈6.{10}^{-6} \: \mathrm{S.m^{-1}}  (conductivité) pour l’eau pure.  La durée pour accumuler les charges est :  T3=qI=2ε0γ3μs\displaystyle T_3=\frac{q}{I}=\frac{2 \,ε_0}{γ}≈3 \:\mathrm{μs} .

D'un autre point de vue, en pratique  γ103S.m1γ≈{10}^{-3} \: \mathrm{S.m^{-1}}  pour l’eau du robinet (elle contient des composés minéraux et du CO2\mathrm{CO_2} dissous).  La durée pour accumuler les charges est nettement plus faible, mais reste supérieure à la durée d’orientation :  T320psT_3≈20 \:\mathrm{ps} .

Puisque  T3>T2T_3>T_2 ,  on peut considérer que la polarisation se fait initialement surtout par orientation.

4. Déplacement d’ions dans l’eau déjà polarisée par orientation

Lorsque le champ extérieur est très grand, le champ intérieur ne peut pas être rendu nul par les effets de polarisation par orientation : même si toutes les molécules s’orientent de façon optimale, cela ne donne pas des charges surfaciques suffisantes. On suppose que ce n’est pas le cas ici.

Mais en outre, même pour un champ extérieur plus modéré, la polarisation par orientation n’est jamais complète à cause de l’agitation thermique.

Dans les situations d’équilibre, le champ intérieur est divisé par  εr=80ε_r=80 ,  mais en est-il exactement de même en régime variable ?

L’énergie potentielle est  p=pEcos(θ)ℰ_p=p \:E \; \cos(θ)  et sa valeur moyenne est :  p=pE11ueβudu11eβudu\displaystyle 〈ℰ_p 〉=p \:E\; \frac{∫_{-1}^1 \:u\: \mathrm{e}^{βu} \: du}{∫_{-1}^1 \:\mathrm{e}^{βu} \: du}  avec  β=pEkT\displaystyle β=\frac{p \:E}{k \:T}  (où kk est la constante de Boltzmann, décrivant l'effet de l'agitation thermique).

La polarisation est ainsi (pour les champs modérés) :  P=np.(coth(β)1β)nβp3\displaystyle P=n \:p .\left(\coth(β)-\frac{1}{β}\right)≈\frac{n \:β \:p}{3}  en notant  nn  la concentration des dipôles. On en déduit la susceptibilité électrique :  χePε0E=np23ε0kT\displaystyle χ_e≝\frac{P}{ε_0 \: E}=\frac{n \:p^2}{3 \,ε_0 \: k \:T} .

On en déduit ensuite que, dans un premier temps, l’orientation rapide des dipôles conduit à une atténuation du champ intérieur d’un facteur 2828 (pour une permittivité relative  εr=80ε_r=80 ).

Dans ces conditions, il s’ensuit que pour polariser par déplacement d’ions (en remplaçant ainsi progressivement l’effet d’orientation), il faut accumuler des charges surfaciques  σ=qS\displaystyle σ=\frac{q}{S}  telles que  E=σ2ε0\displaystyle E=\frac{σ}{2 \,ε_0} , mais avec un courant  I=jS=γESI=j \:S=γ \:E' \:S   où  EE28\displaystyle E'≈\frac{E}{28} .

La durée pour accumuler les charges dans l’eau pure est alors :  T4=qI=2ε0γEE0,1ms\displaystyle T_4=\frac{q}{I}=\frac{2 \,ε_0}{γ} \, \frac{E}{E'}≈\text{0,1} \:\mathrm{ms}  c’est à dire tout de même nettement inférieure à la durée de passage dans la zone active...  donc le changement de nature de la polarisation est complet. A fortiori, dans l’eau du robinet, le changement prend moins de temps :  T40,6μsT_4≈\text{0,6} \:\mathrm{μs} .

5. Conclusion

Bien que la polarisation se fasse d’abord par orientation, l’attraction du filet d’eau par la zone de champ fort est finalement principalement due à une polarisation par déplacement d’ions : cette expérience ne peut donc pas démontrer l’orientation des dipôles H2O\mathrm{H_2 O} sous l’effet du champ électrique.

Par contre, pour l’eau contenue dans les aliments à l’intérieur d’un four micro-ondes, la fréquence caractéristique 2,4GHz\text{2,4} \:\mathrm{GHz} correspond à une durée  T50,4ns>T3T_5≈\text{0,4} \:\mathrm{ns}>T_3  permettant la polarisation par orientation, mais  T5T3T_5≪T_3  très insuffisante pour déplacer des ions : le chauffage par agitation des molécules est basé sur l’effet d’orientation des moments dipolaires des molécules (puis la dissipation de l'énergie lors des interactions microscopiques associées à l'agitation thermique).