Particules
• Dans les années 1975-80, alors que les modèles
basant l'étude des particules élémentaires sur les
quarks
se développaient fortement, mais que l'évidence d'une
observation
directe de tels constituants tardait à venir, je me suis
demandé
s'il n'était pas envisageable que les quarks en tant que tels
n'existent
pas. On peut en effet imaginer que ces “entités quarks”
décrivent
des symétries des interactions, sans pour cela qu'il existe
forcément
des corpuscules correspondants.
J'étais guidé dans cette approche par l'analogie avec
l'électromagnétisme,
pour lequel les effets magnétiques sont des composantes
complémentaires
du champ électrique, avec cette particularité qu'il
existe
des charges électriques mais non des charges magnétiques
(dans
les modèles “standard”). Dans le même temps d'ailleurs
sévissait
une recherche active de monopôles magnétiques
(prédits
par certaines théories) dont tous les efforts semblaient vains.
Il ne paraissait donc pas a priori inenvisageable de rechercher des
modèles
avec des champs de quarks dépourvus de particules, correspondant
à
des composantes complémentaires des champs des leptons, avec
bien
sûr la difficulté de trouver dans quel espace une telle
complémentarité
pourrait se produire.
Cette approche me semblait d'autant plus intéressante que
j'étais
plus ou moins méfiant à l'égard des expressions
proposées
pour le potentiel d'interaction entre quarks, tendant vers l'infini de
façon
affine
[1]. La “nécessaire” diminution des interactions à
grande
distance me semblait être un argument incontournable.
• Depuis, je n'ai trouvé aucune trace de théorie de ce
genre,
mais mon point de vue a par ailleurs en partie changé.
• Dans la philosophie de la mécanique newtonienne, un point
matériel
est “isolé” (ou quasi-isolé) dans l'espace s'il est assez
éloigné
de tout autre objet, car on présuppose que les interactions
diminuent
à grande distance. Newton en déduit plus ou moins la
logique
de l'idée d'inertie : sans interaction, l'espace (qu'il suppose
exister
même sans interaction) étant partout pareil, il n'y a
aucune
raison de changement dans le mouvement.
Il en découle ensuite la nécessité de distinguer
des
référentiels “galiléens”, dans lesquels la
mécanique
s'exprime “plus simplement”. Ainsi lorsqu'un observateur, par rapport
à
son référentiel galiléen, fait tourner un seau
d'eau
selon son axe vertical, il voit la surface de l'eau s'incurver sous
l'effet
de la rotation. Au contraire, si l'observateur laisse le seau fixe et
tourne
autour, il observe une surface qui reste horizontale.
• Dans la philosophie de Mach au contraire [2, 3], un point
matériel
“isolé” est soumis à des interactions
non-nécessairement
individuellement négligeables avec les objets
éloignés,
mais telles que globalement leur effet semble ne pas dépendre de
la
position,
justement parce qu'ils sont éloignés (ce qui fait que le
déplacement relatif est faible) et que ces objets
éloignés sont nombreux et répartis
uniformément et isotropiquement (ce qui fait que, pour de
nombreux aspects, leurs actions se compensent).
Il en déduit une
toute autre approche du phénomène d'inertie. Si
l'observateur tournant autour du seau n'a aucune influence, parce qu'il
ne constitue qu'une partie négligeable de l'ensemble des objets
en interaction avec l'eau, au contraire l'ensemble de l'Univers
tournant autour du seau créerait une force équivalente
à ce qu'on appelle “force d'inertie” dans un
référentiel tournant (non galiléen) de la
théorie newtonienne.
• En d'autres termes, la théorie newtonienne a cette
supériorité qu'elle “court-circuite” toutes les
difficultés liées à ces interactions possibles et
inobservables : elle est “spontanément renormalisée”.
Mais quand on atteint le niveau théorique où on veut
faire le lien entre les processus microscopiques
élémentaires et les observations macroscopiques, la
théorie newtonienne a le défaut de ses qualités :
elle méconnaît ce qui se produit avant la renormalisation
(et elle le décrit probablement très mal).
• Ainsi, il me semble maintenant de plus en plus probable que non
seulement la masse des constituants élémentaires est
nécessairement nulle avant renormalisation, mais aussi, en un
certain sens, la
décroissance de leurs interactions en fonction de la “distance”
[4].
Plus précisément, quand un constituant
élémentaire interagit, il le fait exactement pareil
quelle que soit la distance, dans la mesure où cette distance
n'est qu'une conséquence statistique de l'ensemble des
interactions ; la décroissance des interactions avec la distance
ne peut alors intervenir que dans leur description statistique.
Dès lors, non seulement il devient plausible que le potentiel
d'interaction des quarks augmente de façon affine en fonction de
la distance (avant renormalisation), mais il semble qu'il doive en
être de même pour tout corpuscule
“élémentaire”. Ainsi on devrait plutôt, au
contraire, se demander si les leptons sont ou non réellement
élémentaires et, dans l'affirmative, se demander si le
propagateur “nu” qui leur est assigné correspond bien à
leurs propriétés élémentaires.
__________________
Références :
1. voir par
exemple :
“Le plasma de quarks et de gluons en
laboratoire”, J.Y.
Grossiord, CNRS - Images de la physique n° 2002, p. 98,
décembre 2002 ;
“Prix Nobel - physique”, La Recherche n° 382, p. 60, janvier 2005.
2. voir par exemple (sans pour autant accepter toutes les
argumentations défendues par
Mach, dont la philosophie l'avait aussi conduit à refuser
l'interprétation atomistique de la matière) :
“La Mécanique”, E. Mach,
éd. J. Gabay (traduction
française) ;
“Le vrai et le réel”, Pour
la Science - les génies de la science, n° 27 (“Planck, la
révolution quantique”), mai 2006.
3. un certain nombre d'effets liés aux systèmes tournants
ont été testés dans le cadre de la
relativité générale ; ils ne correspondent pas
exactement au point de vue de Mach, qui envisage de faire tourner
l'Univers autour d'un seau (ce qui est “impossible” pour un Univers
infini en théorie relativiste) ; voir par exemple : “La
relativité générale vérifiée
à 99%”, L. Blanchet, La Recherche n° 381, décembre
2004.
4. je serais même tenté par l'analogie utilisée par
les sociophysiciens, selon laquelle ce sont les interactions de
proximité qui provoquent le changement, mais la globalité
des interactions à grande distance qui fait l'inertie ; voir par
exemple le commentaire : “Globalisation, mais pas
uniformisation”, Pour la
Science n° 313, p. 20, novembre 2003.
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