Distances et topologie


• Quand on envisage de définir une notion de distance en “comptant les nœuds intermédiaires des diagrammes”, il est évident que quelques précisions s'imposent.

En procédant simplement ainsi, pour décrire un photon (de masse nulle) arrivant sur Terre en provenant d'une galaxie “lointaine”, on aboutirait à un photon ayant parcouru une distance nulle (en une durée nulle), ce qui n'est pas ce à quoi on se réfère usuellement.

• On peut proposer de réfléchir par analogie avec la mesure d'un objet usuel constitué d'atomes : sa longueur peut nous paraître bien définie à notre échelle macroscopique, mais sembler plutôt “fractale” quand on regarde à une échelle plus petite. Il est donc nécessaire de définir comment on “passe à la limite microscopique”.

En particulier, la définition des dérivées “physiques” s'obtient pour des petites variations tendant vers zéro... sans tendre vers zéro : il faut préciser jusqu'à où on considère la “limite”.

• Revenant aux décomptes sur les diagrammes, il faut peut-être prendre de même une sorte de moyenne (peut être une “limite inférieure”) dans l'ensemble des diagrammes possibles reliant deux événements, mais il faut probablement pour cela définir une “pondération” dans la moyenne (ou une façon de considérer la limite), ce qui  constitue plus ou moins la définition d'un filtre de voisinages, c'est-à-dire une topologie.

La pondération envisagée pourrait être basée sur une mesure comme celle de Levin, utilisant la complexité de Kolmogorov [1], ou bien sur les méthodes servant à décrire les flux dans les chaînes de production [2] ou les interactions dans les réseaux [3].

La métrique découle alors éventuellement de la topologie, mais peu probablement l'inverse [4, 5, 6]. Ce que je crains alors, c'est que la complexité du problème mathématique soit un obstacle à toute résolution prochaine. En effet, bien que de formation mathématique plutôt relativement renforcée pour un physicien (lorsque j'envisageais de trouver un emploi de recherche en physique théorique, j'avais en prévision approfondi ma formation mathématique de base), il me semble que l'approche de ce problème est tellement différente de ce qui a été utilisé précédemment qu'elle risque de nécessiter ou bien un fantastique coup de hasard (un physicien qui rencontre fortuitement les outils mathématiques nécessaires), ou bien une résolution par un mathématicien de haut niveau (connaissant une large panoplie d'outils et curieux de s'intéresser à l'application en physique de théories plus “abstraites”). Dommage, c'est un peu tard pour Grothendieck [7]. On pourait aussi penser à quelqu'un comme Gregori Perelman, capable de s'inverstir dans un projet complexe sans trop s'attacher aux espoirs de récompenses [8], mais ce genre de personnes est par nature peu accessible (si vous le rencontrez, dites lui de regarder si mes divagations l'intéressent).

• Ainsi, on peut envisager que les “voisinages” d'une particule en mouvement ne soient pas les mêmes que ceux définis pour le “milieu de propagation” (ce par rapport à quoi on considère que la particule se déplace) et que cette sorte “d'effet Doppler topologique” apparaisse globalement sous la forme de la transformation de Lorentz (ou sa généralisation pour un mouvement accéléré).

• Qui plus est, les différentes sortes de particules n'intéragissant pas de la même façon, elles ne “voient” probablement pas l'espace avec la même topologie/métrique : seule une théorie unifiée des interactions conduirait à une métrique unique.

En particulier, j'ai plutôt tendance à penser que la gravitation n'est que ce qui reste, vu de loin, quand on considère l'ensemble des autres interactions se compensant en moyenne. Je suis ici conduit à envisager la relativité générale, en fin de compte, comme une théorie macroscopique approchée dont la métrique n'est pas du tout appropriée pour décrire le niveau microscopique.

• Que ce soit pour la relativité générale ou pour les théories quantiques décrivant des interactions dans un “vide” renormalisé, certaines approches semblent en fait indiquer que l'intégrabilité des équations découlant des théories macroscopiques ne serait pas indépendante de l'invariance conforme des phénomènes microscopiques sous-jacents [9].

• Finalement, il serait peut être intéressant de chercher une approche du problème à partir de la méthode des intégrales de chemin [10]. En se basant sur l'action A, l'intégration   K(xfin, tfin | xin, tin) = chemins  sur tous les chemins possibles conduit à une difficulté si on considère ces chemins dans un espace supposé préalablement existant. Il faudrait résoudre le problème inverse : trouver un espace (réseau d'interactions ?) où “intégrer”, tel que disparaissent les divergences associées aux théories quantiques. Peut-être aurions nous alors la surprise d'être conduits à un espace inattendu, par exemple d'une nature intermédiaire entre l'infini dénombrable et le continu [11].

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Références :

1. voir par exemple :  “La complexité mesurée...”, J.P. Delahaye, Pour la Science n° 314, décembre 2003.

2. voir par exemple :  “L'algèbre des sandwichs”, G. Cohen, S. Gaubert et J.P. Quadrat, Pour la Science n° 328, février 2005.

3. voir par exemple :
“Étude des réseaux par la physique statistique”, A. Barrat, M. Barthétémy et A. Vespignani, Bulletin de l'UPS n° 212, octobre 2005 ;
“Vivre serein dans un monde cruel”, J.P. Delahaye et R. Dorat, Pour la Science n° 346, août 2006.

4. si, à partir de la théorie des ensembles, on essaye de construire une géométrie au niveau “élémentaire”, on est amené à associer une notion de “droite” à un propagateur reliant deux vertex ; l'essentiel du raisonnement s'arrête dès qu'on aborde les axiomes d'ordre sur une “droite” : il n'y a aucun autre point que les deux vertex et la “géométrie” qui en résulte est trop rudimentaire pour être vraiment utile ; il semble donc qu'il faudrait plutôt construire la géométrie au niveau macroscopique sur la base d'une nouvelle interprétation au niveau élémentaire ; des difficultés semblables avaient d'ailleurs été évoquées dès Euclide, au sujet des a priori que pouvaient sous-entendre certains de ses axiomes ; voir par exemple :
“Foundations of geometry for university students and high-school students”, R. Sharipov, fr.arxiv.org/abs/math/0702029, février 2007 ;
“Les avatars de la rigueur mathématique”, É. Barbin, Pour la Science n° 356, juin 2007.

5. cela peut aussi impliquer des structures moins usuelles comme les prétopologies, voire même un couple de structures prétopologiques associées respectivement aux dispositifs émetteurs et récepteurs ; voir par exemple :  “Les mathématiques des frontières floues”, S. Dugowson, Pour la Science n° 350, décembre 2006.

6. cela peut d'ailleurs poser d'autant plus de questions délicates que les mathématiciens sont déjà circonspects au sujet de problèmes comme ceux liés à l'axiome du choix (indépendemment de l'utilisation physique des mathématiques) ; en ce qui concerne les applications, il me semble que la simple existence du paradoxe de Banach-Tarski implique le caractère rédhibitoire de la forme forte de l'axiome du choix pour décrire l'espace physique aux échelles usuelles, d'autant plus que la forme faible associée à la mesurabilité de Lebesgue conduit à des propriétés mathématiques suffisantes pour cela (et qu'on peut en outre envisager d'y ajouter d'autres axiomes) ; par contre, il n'est pas évident que le jeu d'axiomes judicieux doive être le même pour la description à l'échelle microscopique “élémentaire” envisagée ici (d'où l'intérêt à ce que les mathématiciens continuent à travailler sans préjugé sur les différentes possibilités) ; voir par exemple :  “Coloriages irréels”, J.P. Delahaye, Pour la Science n° 328, décembre 2005.

7. voir par exemple :  “Grothendieck : au fond des choses”, A. Hobeika, Pour la Science n° 334, août 2005.

8. voir par exemple :  “Un mystérieux mathématicien pour une complexe conjecture”, C. Dumas, sciences.nouvelobs.com/sci_20060818.OBS8690.html, août 2006.

9. voir par exemple :  “Les mille et une facettes de l'intégrabilité”, D. Bernard et P. di Francesco, Pour la Science n° 336, octobre 2005.

10. voir par exemple :
            wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Intégrale_de_chemin ;
            cours de C. Cohen Tannoudji, http://www.phys.ens.fr/cours/notes-de-cours/cct-dea/index.html.

11. voir par exemple :  “Imaginer l'infini, ou le découvrir ?”, J.P. Delahaye, Pour la Science n° 370, août 2008.




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