Gravitation quantique
• Une théorie relativement prometteuse (et qui, sur
certains aspects, utilise le même genre de concepts que ceux que
je défends ici), est celle appelée “gravitation quantique
à boucles” [1]. Cette théorie comporte toutefois
(à mon humble avis) un certain nombre de “défauts” dont
il n'est pas évident qu'ils soient contournables.
• Cette théorie “persiste” à considérer que
l'espace-temps quantifié existe a priori ; elle y ajoute ensuite
des interactions (sous la forme équivalant à des
diagrammes de Feynman) en pondérant certains nœuds des graphes
; ces interactions influencent l'espace-temps qui les contient, mais ce
dernier peut exister en leur absence.
Je pense qu'il faut au contraire envisager une théorie où
l'espace-temps n'est qu'une des propriétés
découlant des interactions (diagrammes de Feynman) et rien
d'autre : sans interactions il n'y a pas d'espace-temps.
• Quand la gravitation quantique à boucles envisage (par
exemple) un photon se propageant dans l'espace-temps quantifié,
elle le décrit comme une modification locale des graphes
représentant l'espace-temps (ce qui peut être
visualisé, de façon très simplifiée,
à l'aide du premier des diagrammes ci-dessus).
Je pense au contraire que les graphes de l'espace-temps sont beaucoup
plus enchevêtrés (et ce d'une façon fondamentale,
qui n'est pas seulement due à la simplification
inévitable pour la visualisation) : ce que nous
considérons “voisin” à l'échelle macroscopique (et
donc ce qui est à “faible distance” d'après la
métrique de l'espace-temps) n'est pas forcément “voisin”
au niveau “microscopique”, et réciproquement.
Deux points, distants de millions d'année-lumière au sens
de notre métrique macroscopique, mais reliés par un
photon (ou n'importe quelle particule de masse nulle), sont à
une distance nulle au sens des interactions élémentaires.
L'espace lui-même découle d'une multitude d'interactions
dont un bon nombre sont entre points “très
éloignés” (plutôt selon le second des diagrammes
ci-dessus) et dont les corrélations à “grande distance”
(dont des effets de type E.P.R.) causent les phénomènes
tels que l'inertie.
Il ne me semble pas indispensable
d'ajouter quoi que ce soit d'autre pour faire intervenir un effet
d'inertie... et de ce fait je suis convaincu qu'il n'y a rien à
ajouter : les seuls diagrammes à considérer seraient ceux
des interactions qui ont lieu dans l'espace-temps (diagrammes de
Feynman) et la gravitation ne serait qu'un effet de leurs
corrélations multiples à longue distance.
• Une autre approche, qui tombe dans les mêmes défauts,
est celle évoquée sous le nom de “gravitation quantique
euclidienne” [2] : pour chercher une structure limite décrivant
l'espace-temps, il faut ne pas partir de polyèdres
d'espace-temps préexistants.
• L'interprétation peut en outre être compliquée
par des a priori associés aux concepts usuels.
Considérons par exemple le déplacement d'une particule,
depuis un point A jusqu'à un point B, en passant au voisinage
d'une zone de “forte densité d'interaction” (dans les
schémas symboliques suivants, le détail des interactions
de la particule lors du trajet n'est pas précisé) [3].
Si on envisage un raisonnement “local”, on peut conclure qu'un trajet
contournant la zone soit causé par une attraction : le mouvement
commence de côté (sans intention préalable
d'atteindre B), puis l'attraction le dévie et lui fait
finalement atteindre B. Si
on envisage un raisonnement “global”, on peut conclure à une
sorte de répulsion : parmi les trajets allant globalement de A
à B, les plus probables sont ceux qui ne traversent pas la zone
d'interaction et sont en quelque sorte “repoussés” (comme les
lignes de champ magnétique sont “repoussées” par les
supraconducteurs).
• Bien entendu, dans la mesure où il n'est pas évident de
trouver quelle topologie associer à un écheveau aussi
enchevêtré, on peut essayer de le représenter (par
une sorte de renormalisation) à l'aide d'une théorie
“duale”, dont chaque graphe représente localement l'effet global
des corrélations à grande distance dans la théorie
initiale. Ce serait alors plus où moins à la gravitation
quantique à boucles que ressemblerait probablement une telle
théorie duale. Mais dans ce cas, s'il est probable qu'elle
permettrait une meilleure “liaison” avec notre description
macroscopique, elle ne serait au contraire pas représentative
des diagrammes élémentaires microscopiques.
Il faut par ailleurs noter que, malgré l'analogie de “l'absence
de gravitation”, le point de vue envisagé ici me semble sans
rapport direct avec le type de théorie “duale” qui a
été proposé avec extrapolation au ”bord” de
dimensions supplémentaires [4] (mais peut-être mon
incrédulité n'est elle pas indépendante des doutes
que m'inspirent les théories des cordes).
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Références :
1. voir par exemple : “Des atomes d'espace et de temps”, L.
Smolin, Pour la Science n° 316, février 2004.
2. voir par exemple : “L'univers quantique auto-organisé”, J.
Ambjorn, J. Jurkiewicz et R. Loll, Pour la Science n° 371,
septembre 2008.
3. bien que les concepts étudiés soient en bonne partie
différents, certaines recherches sur les communications dans les
réseaux apporteront peut être des idées importantes
en ce sens ; voir par exemple : “Double clustering and graph
navigability”, O. Sandberg, <http://fr.arxiv.org/abs/0709.0511>,
septembre 2007.
4. voir par exemple : “La gravité est-elle illusion ?”, J.
Maldacena, Pour la Science n° 339, janvier 2006.
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