Temps de vie du photon ; instantanéité et “localéité” relativistes des interactions


• L'un des tests de la relativité est lié à la durée de vie des particules. Si on considère un muon provenant des rayons cosmiques et arrivant sur la Terre à une vitesse proche de celle de la lumière, on constate que sa durée de vie est plus grande que celle d'un muon au repos. Ceci tient au fait que la durée qui importe physiquement pour le muon est celle qui correspond à son référentiel propre ; il faut donc se baser sur l'intervalle de temps propre dtau (ou sur l'élément de métrique invariant relativiste  ds = c dtau)  plutôt que sur l'intervalle de durée  dt  mesuré dans notre référentiel.

Si on s'intéresse au cas analogue pour un photon, dont la masse est nulle, on peut considérer une particule de masse non nulle, puis faire tendre la masse vers zéro à quantité de mouvement constante. Pour un muon qui se déplace à la vitesse  v  entre un point A et un point B séparés par une distance D, la durée du trajet est  T = D/v.  Dans le référentiel où le muon est au repos, la durée du trajet est  T’ = T . racine2,  durée pendant laquelle les points A et B (qui se déplacent à la vitesse -v) parcourent une distance  D’ = D . racine2.

Quand on fait tendre la masse vers zéro à quantité de mouvement constante, la vitesse v tend vers c et donc T’ et D’ tendent vers zéro. Ceci consiste à dire que, par rapport à son “référentiel propre”, le photon parcourt une distance nulle en une durée nulle.

On en arrive ainsi à une notion de photon qui “arrive en même temps qu'il part” (non pas par rapport à notre vision des choses, mais par rapport à l'interaction à laquelle il est en train de participer), ce qui n'empêche pas de distinguer entre le point de départ et le point d'arrivée puisqu'il y a transport d'énergie de l'un vers l'autre.

• Cette sorte de jaillissement “instantané” rejoint l'idée, déjà utilisée par Newton, de particules interagissant instantanément à distance. Bien qu'il soit certain que la lumière “part de la source” et “se dirige vers le récepteur”, la propagation qui  découle de l'image newtonienne des interactions est en quelque sorte instantanée (ce qui est un abus de langage car le terme “propagation” évoque un décalage spatial mais aussi un décalage temporel). Or, si on remplace (conformément à l'introduction par Einstein de la propagation relativiste de la lumière) l'instantanéité correspondant à  dt = 0  par son analogue correspondant à  dtau = 0,  on constate que la propagation à la vitesse de la lumière peut très bien être considérée comme l'instantanéité relativiste de l'interaction lumineuse.

Tout ceci conduit à un modèle non local, ou possédant plutôt une “localéité” relativiste liée à la propriété  ds = 0,  où la trajectoire d'un paquet d'ondes décrivant une particule doit être considérée globalement (je préfère utiliser le néologisme “localéité” plutôt que le terme “localité”, qui a plusieurs acceptions, pour faire ressortir la même différence qu'entre les mots “instant” et “instantanéité”).

Cette interprétation des phénomènes possède des aspects fortement déterministes en ce sens que, étant considérée comme un tout, l'onde présente des corrélations avec les informations sur son point d'arrivée dès le moment où elle part. Cette façon globale de considérer les interactions peut contrarier l'intuition, surtout dans certains cas de corrélations à distance où il devient difficile de séparer les causes et les effets sans contredire la mécanique quantique. Toutefois, lorsqu'on étudie un champ électromagnétique dans la jauge de Coulomb, on est amené à utiliser le potentiel scalaire non retardé de l'électrostatique, qui semble ne rien avoir de relativiste ; on aboutit pourtant au même résultat que dans la jauge de Lorentz où on utilise le potentiel retardé. Ceci est en fait cohérent avec le principe déterministe qui dit que le présent peut se déduire du passé et lui est donc en partie équivalent du point de vue de l'information contenue ; ceci montre par ailleurs que les corrélations spatio-temporelles du monde physique peuvent paraître étranges quand on ne les exprime pas dans le référentiel ou la jauge appropriés.

• En outre, cela n'est pas indépendant de l'interprétation que Feynman avait proposée pour tenter d'éliminer de certains calculs les divergences causées par l'autointeraction des électrons : avec Wheeler, il envisageait une interaction à distance associée à une superposition d'égales contributions d'ondes retardées et avancées [1]. Un reproche souvent fait à ce travail était de remplacer la difficulté d'une divergence par la difficulté d'un non respect du principe de causalité. Or, ce type d'argument n'est pas approprié dans l'approche de l'instantanéité relativiste : non seulement un électron peut interagir par potentiels avancés en tant qu'émetteur, mais (dans la mesure où est respectée la symétrie entre les deux sens du temps) il le fait logiquement autant qu'il interagit par potentiels retardés en tant que récepteur.

• Une complication peut sembler apparaître si on revient au cas du muon pour traiter, dans l'ordre d'idées évoqué au début, le cas des particules massives, qui se déplacent à une vitesse inférieure à celle de la lumière. On n'a plus en effet  ds = 0  le long de la trajectoire et on ne peut donc pas utiliser directement l'instantanéité relativiste.

Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées pour généraliser cette notion. Mais la généralisation est directe si on considère que les particules “nues” ont une masse nulle et que la masse des particules “habillées” par les interactions découle d'une renormalisation.

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Références :

1.  voir par exemple :  “vous voulez rire”, Pour la Science - les génies de la science, n° 19 (“Feynman, génie magicien”), mai 2004.



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