Relativité et théorie quantique ; quelle
interprétation du “vide” ?
• La théorie de la relativité
généralisée considère d'une certaine
façon que l'espace-temps ne préexiste pas à son
contenu : Einstein ne décrit pas un espace ayant
une métrique prédéfinie, dans lequel
s'établit
un champ de gravitation (fût-il associé à une autre
métrique) mais au contraire un espace dont le “champ” et la
métrique sont une seule et même chose, conséquence
directe du contenu [1].
Les théories quantiques, au contraire, ont été
envisagées dans un espace plat préexistant. Puis on a
cherché à
les généraliser dans un espace décrit par une
métrique courbe déduite de la relativité
générale non
quantique. D'autre part, on a cherché une théorie
quantique
de la relativité générale, mais en quelque sorte
indépendante
des autres théories quantiques (théorie quantique
relativiste
de la gravitation) [2].
Mais l'espace-temps “vide” existe-t-il en l'absence d'interactions, ou
est ce une notion absurde ? Il me semble plus satisfaisant d'envisager
la
première des deux approches : déduire
l'espace-temps des propriétés des interactions quantiques
[3, 4].
• Ainsi, dans un espace (?) “vide” à part un point
matériel isolé, ce point matériel peut il se
déplacer ? Non,
car pour se déplacer, il faudrait qu'il se déplace par
rapport
à autre chose et il n'y a rien d'autre. En particulier, le
principe
d'inertie
dans un référentiel galiléen, qui dit que tout
point matériel isolé se déplace d'un mouvement
uniforme, nécessite de considérer que l'espace vide (le
référentiel) est un objet actif en interaction avec le
point (qui n'est dans ce cas pas vraiment isolé). Plus
même : peut il exister un espace (?) “vide” de tout à part
un point matériel isolé ? Non,
car pour qu'il existe “ailleurs”, il faudrait que le point
matériel interagisse.
Dans un espace (?) “vide” à part deux points matériels
isolés, l'un de ces points matériels peut il se
déplacer par rapport à l'autre ? Non, car pour se
déplacer, il faudrait qu'il modifie la distance ou la direction
par rapport à l'autre et il n'y a comme référence
aucune autre direction ou distance que celles correspondant au couple
de points (qui restent forcément toujours identiques à
elles mêmes). Il faut donc au moins trois points matériels
pour qu'on puisse envisager un mouvement.
Dans un espace (?) “vide” à part trois points matériels
isolés, l'un de ces points matériels peut il se
déplacer par rapport au système des deux autres ?
Peut-être, mais c'est loin d'être évident car pour
des points isolés, l'absence d'interaction interdit la
comparaison des distances. On doit même se demander si
la notion de distance a une signification pour deux points qui
n'interagissent pas entre eux (la variation de distance n'aurait-elle
pas pour seule signification une variation de façon d'interagir
?).
• L'interaction entre deux charges électriques supposées
“points matériels isolés” doit se faire dans la direction
définie par l'ensemble des deux points, mais l'invariance
d'échelle devrait imposer que l'interaction ne dépende
pas de la “distance” (?)... sauf s'il y a autre chose dans le “vide”
(la dépendance en 1/r2 peut au contraire paraitre
logique dans l'espace R3 si on considère l'effet
statistique d'une “infinité” d'interactions virtuelles dont
celles étudiées ne sont que quelques unes).
• Dans un espace (?) “vide” contenant un point matériel
isolé, le temps s'écoule-t-il ? Non, car pour faire la
différence
entre un instant et un autre il faudrait qu'il se produise un
phénomène qui les distingue (selon Prigogine, ce sont les
interactions qui font le
temps).
• Si, en théorie relativiste, l'espace et le temps se combinent
lors des changements de référentiels, alors qu'ils nous
paraissent avoir des propriétés fondamentalement
différentes, c'est (à mon avis) que la nature
fondamentale de ces grandeurs n'est pas ce qu'il nous semble à
notre échelle. Au total, je pense que la structure de
l'espace-temps doit être
non seulement une conséquence de son contenu, mais plus
même : une conséquence des
interactions de son contenu. En particulier, le mouvement doit
être envisagé comme une sorte d'interaction.
La théorie de la relativité générale,
maintenant très bien vérifiée [5], me semble ainsi
la meilleure possible au niveau où elle se place : son seul
défaut est de supposer qu'un
espace (métrique) existe en dehors des interactions, mais
d'utiliser ces dernières comme base essentielle de la
définition de la métrique. En fait, dès que
l'aspect fondamentalement
quantique disparait et que la notion
de coordonnées en émerge, alors l'invariance relativiste
est respectée (mais probablement pas “avant”) : la
relativité générale va le plus loin qu'il est
possible d'aller en se basant sur des coordonnées (et en en
déduisant la métrique par un raisonnement
intrinsèque) [6].
__________________
Références :
1. Il est est de même pour les tentatives de
généralisations ; voir par exemple :
“Einstein et la théorie unitaire : 40 ans de
perdus ?”, C. Goldstein et J. Ritter, Pour la Science n° 326,
décembre 2004.
2. Ceci est discuté entre autres par S. Hawking ; voir par
exemple :
“La nature de l'espace et du temps”, S. Hawking et
R. Penrose, Princeton University Press 1996 (Gallimard 1997 pour la
traduction), chapitre I.
3. Une équipe de l'Alabama, recherchant des effets observables
d'une
éventuelle quantification de l'espace-temps, a conclu par la
négative
; voir par exemple : “Fluidité du temps”, La Recherche n°
363,
avril 2003, et référence citée (non
vérifiée)
: R. Lieu et L. W. Hilman, ApJ Lett., 585, L77, 2003. Leur
démarche
ne parait toutefois pas générale dans la mesure où
il semble qu'ils
supposaient
une quantification “simple” (en partant de l'espace temps
“traditionnel”
et en envisageant simplement que les coordonnées sont
quantifiées),
contrairement à ce que je suggère : que toute la
structure
de l'espace-temps “macroscopique” soit l'aspect statistique
d'événements
quantiques n'ayant comme “lieu” et “date” que ceux qu'ils constituent
par
eux mêmes.
4. Plusieurs théories ont envisagé des modifications du
“modèle standard” dont les effets se feraient sentir aux
environs de l'échelle de Planck ; des expériences ont
été proposées pour en tester la validité,
mais il n'est pas évident que de tels effets soient observables
(l'invariance relativiste peut découler, après
renormalisation de l'espace-temps, de propriétés
également valables au niveau sous-jacent où la notion
même d'espace-temps n'existe pas forcément au sens qui
nous est habituel) ; voir par exemple :
“La relativité
est-elle inviolable ?”, A. Kostelecky, Pour la
Science n° 326, décembre 2004 ;
“La gravitation sous surveillance”, S. Reynaud, Pour la Science n°
326, décembre 2004.
5. Voir par exemple : “La relativité à l'épreuve
des pulsars binaires”, G. Esposito-Farèse, Pour la Science
n° 326, décembre 2004.
6. Voir par exemple : “L'idée de géométrie
différentielle intrinsèque de Gauss à Einstein”,
R. Chorlay, Bulletin de l'Union des Professeurs de Spéciales
n° 208, octobre 2004.
Retour au début